Mon cher enfant,
Je m’adresse à toi qui n’es pas encore là, qui se demande d’ailleurs pour quelle bonne raison tu pourrais te pointer dans ce monde de malades… Et j’avoue, c’est pas sympa pour les malades.
On en a déjà beaucoup discuté de ta venue et je reconnais, parfois, je t’ai même trouvé une utilité. Autre que celle de pousser mon fauteuil quand je serai trop vieux, d’aider ta mère à débarrasser la table ou de vendre un de tes reins pour financer tes études Bac+7 qui te permettront au meilleur des cas, non de ranger les caddies, mais de diriger les mecs qui rangent les caddies, jusqu’à ce qu’un ingénieur digne de ce nom nous invente des caddies qui se rangent tout seul. Mais là n’est pas la question.
Ces derniers jours, je me suis mis à penser à toi, à dix ans, ouvrant un livre d’histoire et découvrant l’étrangeté de cette année 2015. Je te vois arriver, les lunettes un peu pétées sur le bord du nez, parce que ce salopard de Jean-Christophe t’a pris en traître dans la cour de récré et t’a fait tomber la tête la première, d’ailleurs fais-moi penser à aller pousser son père, mais tu dis rien à ta mère.
« Ça faisait peur 2015 ? » que tu me demandes.
Mon enfant, 2015, c’est tout ce que je te souhaite de ne pas vivre. Et moi, pourtant, je suis toujours vivant, je n’ai même pas entendu le sifflement des balles, ma chair a été épargné du moindre éclat de bombe et je n’ai pas eu à enterrer un des miens. Et pourtant, on a tous perdu un peu de soi dans cette année que je qualifierai de putain d’année de merde, mais ne dis pas à ta mère que j’ai dit ça.
On était loin, tu sais, on était insouciant, loin de là où tous ceux qui dirigent pour nous sont allés foutre le souk pour des raisons qui vont t’échapper et qui échappent aussi à ton pauvre père, simple auteur de son état et non expert en géo-politique, comme l’était tous devenus mes contacts sur Facebook au lendemain du 13 novembre.
Dès le départ de l’année qu’on s’est tous souhaitée bonne, on en a pris plein la poire et à la fin de celle-ci, on a définitivement perdu notre inconscience.
On pouvait mourir en buvant une bière à une terrasse d’un café parce qu’on voulait profiter de ce dérèglement climatique, ou simplement parce qu’on s’amusait à écouter de la musique. Oui, c’était des putain d’ordures de vouloir nous priver de ça et tu peux dire à ta mère que j’ai dit putain d’ordures, elle sera d’accord avec moi.
Tu sais, un avion s’est encastré dans la montagne, la nature a secoué bien des endroits de la planète, des millions de personnes ont fui des guerres civiles et aussi égarées que ces gens-là, chez nous, des votes ont fait de l’extrême droite le premier parti de France et on nous a même demandé d’élire des escrocs à la place des fachos. Et de s’en réjouir au nom de la République. La nana au bureau de vote m’a demandé où était ma carte d’électeur quand je lui ai tenté mon passeport, je lui répondu que j’en étais à ma cinquième de brûlée…
Je te le dis, en 2015, j’ai été en colère, là où j’ai vu des amis transformés en Dalaï Lama en puissance, prôner l’amour en réponse à la haine. Moi, j’avais juste envie de mettre des baffes, dans tous les camps et j’ai pointé le Ciel le doigt en l’air en attendant désespérément que des Martiens répondent à mon appel… « Maaaaaaaison ». Et rien n’est venu.
Alors, tu sais quoi ? On a fait comme d’habitude, on s’est relevé, les genoux bien écorchés, le cœur boiteux, les espoirs bien niqués, mais on s’est relevé, et répète pas à ta mère que j’ai dit « niqué » sinon je demande un test de paternité. On a serré les dents, même quand on était outré d’entendre des passants dire qu’ils étaient des « résistants » simplement parce qu’ils buvaient leur café en terrasse. On s’est dit, triste, que les mots n’avaient perdu leur essence et qu’on pouvait qualifier de « cerveau », bouche-toi les oreilles, un tas de merde qui organise des attentats. J’ai pensé que le combat contre la connerie était loin d’être gagné, que l’enfer, c’était celui des autres. Mais au fond, comme tout le monde, j’ai continué. Et comment l’a si bien dit un philosophe que tu n’as pas connu « On avance, c’est une évidence, on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’aut’ sens ».
T’as dix ans mon Enfant, tu n’existes pas et tu te demandes si ça vaut le coup de débarquer chez les dingues. Et c’est pas sympa pour les dingues.
Tu vois, y’en a qui t’ont précédé malgré tout cette année et parmi eux, qui sait, celle ou celui qui saura amener la paix ou qui, à son simple environnement, apporte ce qu’il faut d’espoir et de joie pour continuer à y croire.
Quand 2016 s’est pointée, tu sais ce que je lui ai dit ? « Toi, tu vas faire en sorte que la vie sera belle, ou alors, c’est pas la peine ». On s’est serré la pogne et on s’est promis de se faire confiance. Un peu de douceur, ça ne devrait pas faire de mal. Toujours penser à tendre la main et serrer les souffrantes, avoir de l’honnêteté en soi, ne plus se mentir, trouver les forces pour lutter, pour pardonner et enfin, espérer que le vent fera soulever un peu plus les jupes des filles… Et ça aussi, ne le répète pas à ta mère.
Bonne année à vous toutes, à vous tous, debout.
Bonne année Lilian,
N’oublie pas de dire à ton cher enfant qui n’existe pas, quand 2015, pour beaucoup de parents, il a été très difficile d’expliquer l’inexplicable, l’inconcevable… à leurs enfants. Que ces mêmes parents se demandaient quel est ce monde dans lequel vont grandir leurs enfants? Mais le soir en couchant ses p’tits bouts, en regardant leurs sourires, il y avait un mot qui venait à leurs esprits : espoir.
Il y a eu pas mal d’atrocité cette année, mais cela a aussi donner conscience de profiter des p’tits bonheurs tels une sortie, un sourire, une étreinte.
Bonne année 2016, faîtes d’espérance que ce monde tourne à nouveau dans le bon sens!!!