… article édité par Le plus de l’Obs ici => http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1468403-bowie-est-mort-j-ai-perdu-un-dieu-un-pere-il-nous-a-tous-inspires-moi-le-premier.html …
Ce lundi matin, mon téléphone a sonné avant mon réveil. Des amis m’ont envoyé des dizaines de SMS, comme si j’avais perdu mon père. C’est un peu ça.
Bowie a allumé la lumière en moi
David Bowie est mort, qu’ils ont dit aux infos. Et c’est tout un pan, important, de ma vie qui s’écroule. Impossible de ne pas tomber dans le superlatif, d’en faire trop pour parler de cet artiste plus grand, plus flamboyant que les autres. À mon avis, il n’y a que la mort de Chaplin qui m’aurait bouleversé autant. Des spécialistes musicaux, comme Philippe Manœuvre ou Jérôme Soligny, diront mille fois plus de choses plus sensées et plus documentées que moi. Le documentaire de Christophe Conte sur Bowie, diffusé il y a quelques jours sur France 4, est aussi une jolie merveille très bien fournie.
Moi, je peux simplement dire que j’ai pris la plume un jour et que j’en ai fait mon métier parce que Bowie avait allumé la lumière en moi.
Je n’ai pas une seule pièce, pas une seule inspiration qui, de près ou de loin, n’ait pas été soufflée par Bowie. Son boulot a été de donner de l’imaginaire à nous autres, saltimbanques. Il l’a fait en état d’apesanteur constant, même quand il faisait de la merde, on avait envie de l’écouter à s’en faire saigner les oreilles parce que c’était Lui.
J’ai lu, entre autres, ce formidable bouquin, « Une étrange fascination », et c’est bien ça, une fascination constante. Voilà ce que j’ai développé pour lui. Je n’ai pas la peine insondable d’avoir perdu un proche, mais celle d’un mec d’un coup sans repère. Comme des millions d’autres, je suis inconsolable et chacun de ses albums correspond à un moment de ma vie. Et ma vie se sera faite sans que je ne le voie une seule fois sur scène, pour de vrai. Et ça… J’espère que le paradis existe et j’espère y aller pour me rendre à un de ces concerts.
Il est né et mort 20 fois
Bowie nous a dit qu’on pouvait tout transcender, tout mélanger et tout réinventer. Il est né et mort vingt fois. Ses années 70 ont été faites de tant de personnages qu’il tuait avec talent que, quelque part, on voudrait croire que l’annonce de son décès est encore une de ses mises en scène…
De « Starman » à « Blackstar », non seulement Bowie, nous a montré qu’il était le seul à tutoyer les étoiles, mais il a tout maîtrisé, tout. Il a même eu l’élégance de ne pas mourir le jour de son anniversaire. Il a collectionné ses propres brouillons parce qu’il savait qu’on l’exposerait un jour. Il s’est confronté à tous les styles, tous les genres et n’a été que flamboyant dans tout. Revoyez « Fury », c’était un acteur incroyable, revoyez sa performance dans « Elephant man » au théâtre, lui, ce type si beau (beau oui, comme Bowie, chantait Adjani, sous la plume de Gainsbourg), qui se déformait pour être au plus proche de son rôle.
Bowie, c’était ma religion
L’écoute continue de son dernier opus, « Blackstar » sorti le 8 janvier, devient incroyable et la batterie, à la fin du morceau éponyme, qui s’estompe, peu à peu, est un vertige. Ne pas l’écouter alors que le métro arrive. Et le dernier titre « I can’t give everything away », ironique au fond, parce que si, David, t’as tout donné, jusqu’au dernier souffle.
On n’a pas fini d’écouter son œuvre, gigantesque, faite de rock, de jazz, de soul, de soupe, de tubes, d’égarements aussi et de dizaines de morceaux stratosphériques. Il a inspiré tout le monde. Écoutez-le réduire en cendre le pauvre Bono pour ses 50 ans. L’Irlandais lui lance « On t’a tous copié ». Réponse de l’Anglais: « Toi le premier ».
Pour moi, Bowie, c’était ma religion, et un Dieu pour lequel on ne tuerait pas. Sauf si Bruel fait un album de reprises, je ne réponds plus de rien. Aujourd’hui, c’est pas David Robert Jones qui est mort, c’est le métronome de la musique qui vient de s’arrêter.
J’envie celles et ceux qui vont le découvrir aujourd’hui, les plus jeunes, et qui vont l’aimer, comme je l’ai aimé. Je vous envie.
C’est cela aussi transmettre. C’est passer les clés, la lumière et laisser ainsi libre celui qui s’en empare, quel qu’il soit, de grandir et de s’approprier les ombres, pour pouvoir, à son tour, allumer d’autres feux. C’est ce qu’il a fait pour toi. Il n’est donc pas mort. Au contraire, il est plus vivant que jamais, puisque toi tu es plus fort et plus grand d’avoir aimé son travail. Il a donc réussi. Le témoin change de main, c’est tout… ;o)