L’homme Tordu – 25

 » – Reste. T’as les cheveux qui vont boucler.
– C’est un moindre mal. C’est toujours mieux que de se faire passer la gueule au hachoir.
– Tu le prends mal ?
– C’est pas un manque d’humour. Tu peux me prendre comme tu veux, par derrière et m’insulter si ça te chante. Mais je sais pas pourquoi, tu vois, le dégoût, c’est d’un autre ordre, c’est autre chose, ça pue, c’est sale et si j’inspire ça, ça me pose un problème.
– C’est pas toi.
– C’est quoi ?
– C’est tout ce qu’il y a à faire pour se laver. Pour se nettoyer de toutes les saloperies qu’on a pu faire. Faut sombrer, se rouler dans la merde, en bouffer, j’ai pas le choix.
– Et moi ? Je suis la merde ?
– Pas toi, ce que je te fais faire.
– Je pourrais te gifler, putain, je pourrais te gifler.
– Si ça te fait rester, fais-toi plaisir.
– Non. Ça irait dans ton sens. T’aider à te sentir coupable et victime à la fois.
– Je t’en prie, mets-en une, gratuite, sans intérêt. Je la prendrai pas pour moi. Elle est pour toi. Fais-toi un kiff, comme on dit.
– Très bien…
– … Tu veux que je t’aide ? T’as l’air bloqué, là.
– Je vais te la mettre. Tu t’excuses.
– Quoi ?
– Excuse-toi.
– C’est ça la baffe ? Que je m’excuse ?
– Vas-y. Humilie-toi.
– … Je m’excuse.
– Ben non, monsieur l’auteur, tu vois, c’est toi, ça, tu t’excuses mais si tu veux le pardon de l’autre, ça passe par lui et pas par toi.
– Je comprends pas.
– On dit « je te prie de bien vouloir m’excuser » et pas « je m’excuse ». Dit comme ça, « je m’excuse », ça équivaut à « je t’emmerde ».

Il fait durer le silence.

– Je te prie… de bien vouloir m’excuser. Tu ne me dégoûtes pas. C’est moi qui me dégoûte. Je te donne juste un rôle que t’as pas voulu. C’est peut-être con, petit, lâche…
– C’est con, c’est petit, c’est lâche, je confirme.
– Okay. Je réagis comme ça parce que…
– Je m’en fous, t’as pas à me dire. Je sais que je suis une pilule, un truc pour l’oubli, un trou pour combler l’ennui. Je veux dire, demain, t’auras même pas à te rappeler mon prénom vu que tu le connais toujours pas et je m’en fous. Mais même moche, même sans autre intérêt que de me baiser – et j’y trouve aussi mon compte, hein – rien n’empêche le respect. Tu me fais rire avec ton air d’ours mal léché et je te prends au millième degré, je m’en fous, mais du respect, juste ça, sinon ça sert à rien.
– T’as raison.
– Ouais. Moi aussi, je crève dans ma solitude. Je fais des barres sur mes murs pour chaque jour de passé sans chialer à me dire que ma vie, c’est de la merde. J’ai réussi depuis quelque temps à remplir un mètre carré. Merci de m’aider à continuer de pourrir mon papier peint.
– J’y veillerai. « 

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

Un commentaire

  1. pourrir le papier c’est ce que l’humain s’est faire de mieux, mais laisser en cadeau à l’autre une page blanche pour qu’il puisse réécrire le cour de son existence à sa guise, cela demande un acte et pas n’importe lequel… de l’amour… du vrai !

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