L’homme Tordu – 34

 » Une fissure dans la coque et tout ce qui s’échappe m’échappe. Mais à bien y regarder, ce n’est ni toi, ni nos souvenirs qui se noient. C’est moi qui me dissout.

*

– T’as froid ? Tu trembles.
– Nan, c’est le vertige.
– Au rez-de-chaussée ?
– C’est le vide, le vide en toi, je te jure, plus je te touche, plus je te caresse, plus j’ai l’impression de mettre la main dans un évier, tu vois, avec le tourbillon qu’il y a quand tu retires le bouchon, c’est flippant, je te jure.
– Merci de me rappeler à quel point mon sex-appeal est glamour.
– Ne me dis pas que je suis la première à te dire ça. La fille du frigo, elle est partie avec l’eau du bain, excuse-moi de te dire ça.
– J’étais sûrement quelqu’un d’autre avant.
– Je crois pas. T’as pas la tête d’un mec qui a tout changé, comme ça, du jour au lendemain. T’as la mélancolie chevillée au corps. Plus noir que toi, je vois que le charbon et encore, le charbon, selon ce que t’as envie d’en faire, ça fait de la chaleur. Toi…
– Moi, je suis pour le refroidissement de la planète.
– Ouais, ben montre ta gueule et expose ton point de vue sur la vie sur toutes les télés du monde et le Pole Nord se congèle de nouveau. Si tu veux avoir tous les ours polaire du monde amis sur Facebook, fais-toi plaisir, parle.
– Tu me trouves froid ?
– Au début, je t’ai trouvé obsédé, bon baiseur, gourmand, chaud en fait, sexy, quoi. Et là, oui, on dirait que tu commences à me découper avant de me foutre au congélo. Tu sais, je suis pas ton ennemi, je t’ai dit, on est sûrement pareil avec les putains de faille, la solitude qui bouffe les espoirs, tout ça. Ce qu’on fait là depuis quelques jours, même s’il y a rien, pas de promesses, pas de preuves ou quoi que ce soit, ça doit faire un peu de bien, mais surtout pas de mal. Tu me regardes et tu la vois, elle, pas de problème, moi aussi, je peux en faire autant et superposer ta gueule avec celle d’un autre, c’est pas le soucis. On peut aussi se respecter, je t’ai dit. Si ça te fait chier que je sois là, je peux prendre la porte et me tirer une bonne fois pour toutes. T’as un truc attachant, mais on n’est pas là pour se sauver l’un l’autre. Juste pas se faire de mal.
– Alors, je crois que tu peux partir de suite. Je ne pense pas que ce soit dans mes cordes de ne pas faire mal ou mal faire. Je foire forcément toujours un truc.
– Je connais le mécanisme : « je mérite rien, je suis une merde, etc. »
– C’est ma méthode Coué, ouais.
– Et tu voudrais que quelqu’un te donne des réponses, non ?
– Qui ?
– Je sais pas, quelqu’un. De ton psy à une inconnue comme moi.
– J’ai pas besoin de psy.
– Et d’une inconnue ?
– Ecoute, je sais que je regarde ma vie comme un spectateur privilégié, genre le gars se regarde tomber, il sait que ça va pas, mais il se dit qu’il y a un truc au fond, une perle, un diamant, une raison à tout ça, à la chute, quoi. J’agis pas parce que je laisse à la vie, aux éléments extérieurs à moi faire les choses et on verra bien.
– La fuite en avant. Et s’il n’y a rien au fond des chiottes, tu remontes comment ?
– Je suis toujours remonté. C’est ça mon problème, de jamais vraiment sombrer, d’avoir toujours un minimum de lucidité pour faire le chemin inverse. Je dis pas que j’en ressors pas cabossé, mais j’en reviens. Et pour le psy, j’ai ma page blanche. Le seul problème, c’est que depuis un temps, je sors tellement de trucs que j’ai pas le temps de comprendre. Je m’attaque plus à mes causes, mais à mes conséquences. Je suis comme un type qui a foutu le coup de pioche sur un puits de pétrole. Il est riche comme Crésus, le gars, mais il contrôle plus rien parce que le pétrole, c’est un geyser qui lui retombe sur la gueule. Voilà, c’est pourquoi je suis noir. « 

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

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