Salut la Cie,
Comme promis, voici un billet pour te donner quelques nouvelles concrètes de là où j’en suis. Les projections, je t’en parlerai dans un autre article à venir – oui, oui, je milke – (« milker » = faire monter un peu l’attente / faire son beurre sur un sujet et prendre son temps pour que l’audience reste accrochée ;o)).
Comme le titre le signifie, je suis un peu comme tous mes autres collègues, à l’arrêt, en tout cas, pour tout ce qui concerne la scène. Aucune tournée, aucune représentation devant du public, les dates sont repoussées, d’autres annulées, clairement, les oripeaux et les décors prennent la poussière. Il y a un an pile poil, je foulais la scène de l’Odéon (près de Montreux, pas aussi grand que le nôtre français, mais super endroit et très chaleureux accueil de Patrick Francey), avec « Comme un père », pour une dernière fois. A ce moment-là, on ne pouvait pas savoir qu’on allait être en diète par la suite.
Même chose pour « Arizona », la pièce de Natacha Astuto dans laquelle je joue, on a été obligé d’arrêter, du moins, de prendre une grande pause, les différents festivals sur lesquels nous étions engagés ont fermé les uns derrière les autres. Et, a priori, on met de côté l’ambiance si particulière de ce spectacle, mis en scène par Cédric Laubscher, pour quelques mois. Nul doute qu’on y reviendra avec plus de soif et d’envies…
« Joyeux anniversaire quand même », mon autre création de Sarcelles, qui devait avoir lieu en novembre, est elle aussi à l’arrêt. Alors, nous avons pu faire quelques résidences superbes, comme d’habitude, à Langres, et le spectacle n’a besoin que de quelques jours pour se lancer, la mise en scène, les costumes, le décor étant déjà prêts. Des dates sont posées mi mars pour pouvoir travailler à la salle Jacques Berrier, mais la représentation n’est pas prévue pour le moment. Et le petit cadeau d’adieu des Anglais, le fameux « variant », ne va visiblement pas nous aider à remonter la pente rapidement.
Heureusement, il y a eu « Suivant les pointillés ». Nous avons pu, sous l’impulsion de la mairie de Sarcelles, via Annick et Fabienne, aller tout au bout de notre aventure et présenter la pièce devant quelques happy few qui nous ont fait les bons retours. Par ailleurs, trois captations ont été faites et c’est à ton serviteur qu’est revenu l’immense privilège de faire un montage de tout le spectacle. Et ça fait du taff, surtout quand t’es pas monteur et que tu apprends en même temps. Donc, j’ai compté que pour 2mn de résultat, j’y passe 3h. La pièce fait 95mn, je te laisse faire le calcul par toi-même. D’ailleurs, sur le précédent post, tu as pu voir un extrait vidéo. Je parlerai de l’avenir de la pièce très prochainement, mais pour le moment, c’est ce montage qui est mon quotidien. Quelque part, j’aime prendre et reprendre ces scènes et les monter. Peut-être aussi que cela me donne des clés dans l’idée du rythme, et des petites choses à modifier. Note pour plus tard : refaire ceci.
Bref.
Donc, au sein du creux, oui.
Parce qu’au-delà de ce montage, de la joie d’être allé au bout de la pièce, il y a tant de frustrations partagés avec tous mes collègues du milieu artistique. Le sentiment d’être, comme d’autres restaurateurs ou cinéastes, sacrifiés depuis des mois, pour quoi ? Pour qui ? On nous parle du mouvement de masse que les théâtres provoquent ? Ont-ils seulement regarder les foules devant les grandes surfaces, les grandes enseignes ? Au théâtre, t’as plus vite fait de tomber amoureux, de rire ou de pleurer, que de tomber malade. Jusqu’à quand garderons-nous cette image de saltimbanques branleurs auprès de nos dirigeants ?
J’ai lu aussi « y nous emmerdent les intermittents, là, fermez vos gueules et changez de métier ». Pas de problème mon pote, mais pour le prochain confinement, n’oublie pas que quand tu vas aux chiottes lire un bouquin, que quand tu t’emmerdes et que tu ponces Netflix jusqu’à la moelle, que t’écoutes de la musique, il y a des artistes et des intermittents derrière. Sans eux, mon gars, tes confinements vont te paraître vachement plus longs.
On est dans le creux, nous tous. Mais j’aime voir fleurir des statuts, ici et là, d’amis, de camarades qui œuvrent à des nouveaux projets, qui sont dans la contre-attaque, qui sont dans l’espoir. En ces temps d’ombre, si on n’envisage pas la lumière, autant planter nous-mêmes les clous de notre cercueil. Et de l’intérieur. Alors, à toi et à toi qui repars sur une nouvelle aventure, même masqué, merci pour ton énergie et la ferveur que tu mets à continuer d’exister et d’être essentiel. Tu m’inspires aussi.
Pour finir, voici quelques photos, glanées ici et là, par Valérie Frida, ma superbe assistante et bien plus, sur notre travail durant les trois résidences à Sarcelles. Que des moments magiques pour une équipe de légende, pour un projet qui m’aura fait tenir debout tous ces mois. Et qui va me donner l’énergie de continuer.