A bientôt, évidemment à bientôt

Tes mains se sont fébrilement posées sur moi.

Après avoir ouvert la porte, tu les as glissées le long de mes bras lorsque je les ai contractés pour te montrer les progrès. Tu as été étonnée. J’ai même soulevé mon t-shirt. Tu as souri, de ce sourire que j’ai toujours aimé chez toi, à la fois franc et toujours discret.  Moi, j’ai serré le bide pour te montrer mes abdominaux, que tu continues de caresser la vie qui me parcourt. Mais concrètement, je sais que j’ai serré le bide pour me donner du courage.

Passer ce temps avec toi dont je sais qu’il était le dernier. Et pourtant, je me disais que non et que j’allais te donner plein de bonnes nouvelles, plein de bonnes raisons de voir un peu plus loin. Encore un peu. Même si, au fond, c’était très présomptueux de ma part. Tu voulais savoir que j’allais bien, personnellement, professionnellement. Que ça irait, même après… Tu as toujours été comme ça, bienveillante avec moi et de notre relation de boulot est née une forte amitié, une grande confiance. Nous nous sommes accompagnés pendant 18 ans et tu as été dans les premières à croire en moi. La première à miser, à m’éditer. Malgré cette première rencontre où j’ai débarqué avec ma chemise hawaïenne. Dont je pensais qu’elle m’allait bien. Le pire. Et tu n’as jamais cessé de me le rappeler.

Sur ton canapé, là, tu as peu parlé. Juste ce qu’il faut pour qu’aujourd’hui je comprenne que tu me disais gentiment au revoir. Avec douceur. Qu’il était temps pour toi d’arrêter le combat mené depuis trois ans. Deux ans de gagnés m’as-tu dit. Deux de plus pour voir grandir tes enfants et auprès de ton mari, source inépuisable d’amour et de dévotion. Je crois que j’ai pleuré tout à l’intérieur. Rien montrer, Lilian, rien. C’était juste le temps d’un café qui s’est allongé parce qu’on avait du plaisir à prolonger le moment. J’ai senti ta fatigue, et quelques gestes d’épuisement, quelques mots qui s’échappaient dans un regard qui admirait des fleurs. Et au fond, toujours la joie de partager. Celle qui t’a tant animée.

Merci. Faut toujours dire merci aux gens qui te font du bien.

Merci.

Merci tellement.

Je suis reparti. Tu m’as tout aussi fébrilement pris dans les bras et dans un sourire qui s’excusait un peu, tu m’as glissé « j’aimerais te dire à bientôt ». Moi, à ce moment précis, j’ai fait le malin, je ne sais plus ce que j’ai dit, je me suis réfugié dans mon ironie vitesse grand v, tendance j’ai 3 ans et je rue dans les jupons de ma mère, et j’ai fait des blagues. Que des blagues de déni. De déni niveau international. Du déni sortez moi de cette réalité.

Et la porte s’est fermée.

J’ai marché bizarrement ensuite, sachant que je ne te reverrai plus. Plus de cette manière. A la gare, j’ai discuté avec des amis, sans bien savoir ce que je disais. Dans le train, je suis rentré sans bien comprendre où j’allais. J’ai passé le reste de la journée avec ce « à bientôt » en tête. A me souvenir de t’avoir donné des challenges, comme voir ma prochaine création… Et puis, je me disais que j’avais entendu l’acceptation dans ta voix, pas la résignation, mais l’acceptation, comme l’idée d’un autre départ, nouveau peut-être. Heureux sûrement, selon la grande croyance qui t’a portée jusqu’ici.

Toi, et ton excès de vie, ces cellules en trop, je vous ai vus une dernière fois il y a quelques semaines. A l’heure où se disent les dernières paroles pour rassurer les uns et les autres, pour révéler que tu seras là, pas loin, moi aussi, je l’écris, même si tu ne peux plus me lire, que je ne serai pas loin. Encore plus avec ce qui va arriver dans les mains de Myriam dans quelques jours. Oh, je sais bien l’existence suffisamment joueuse pour livrer ces exemplaires qui signent une renaissance avec un départ. J’écris « départ » parce que je n’arrive pas à écrire autre chose, oui. Ces livres, j’aimerais que tu puisses les toucher, mais comme tu le sais, comme tu sais qu’ils arrivent, là est le plus important. Un éclat d’âme dans une Histoire d’Encre. Nos vies se sont mêlées et continuent de l’être. Tu vas être fière, je le sais. Et merci encore Myriam de ce cadeau que tu nous fais.

C’est con, tu vois, je me dis que j’ai même pas une photo avec toi. En 18 ans, même pas une. Même pas un petit selfie tout pourri. Et puis, je me dis que ça changerait rien, qu’au fond, nos échanges, ta foi en ma réussite et ta Foi tout court, ton amitié, bref, tout ce qu’on a été durant tout ce temps, ce ne sont pas des images, mais des sensations que je porte en moi. Jusqu’au bout.

Tu m’as dit « j’aimerais te dire à bientôt ». Oui, à bientôt Sandrine. Evidemment, à bientôt. Mourir, c’est quand on oublie. Tu es inoubliable.

Erwan, Floriane, Théotime,  vous êtes dans mes pensées les plus sincères et amicales.

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

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