C’est toujours un peu dingue ce qu’on peut voir de là-haut. Si j’avais le vertige, cela ferait bien longtemps que mon pied aurait trébuché.
Au fond, on ne se rend jamais bien compte. C’est forcé. A vingt ans, tu as cette vie devant toi, une traînée infinie d’asphalte qui se perd au loin, à l’horizon. Chacun son rythme, ses détours, ses ralentissements, ses désirs de contre-allers. On avance, poussé par l’inertie de cette Terre qui tourne autour d’une étoile.
Moi, j’ai chaussé mes meilleures baskets et j’avais la main dans celle d’un homme. L’espace m’attendait avec envie, impatience et même si j’avais le cœur qui pouvait boiter à des moments, même si j’ai eu plus d’un espoir à regonfler au bord de la route, je n’ai jamais changé de direction. Alors, oui, à vingt ans, tu as la vie devant toi, et c’est dévoré d’inconscience, d’insouciances en tous genres, que tu brûles le bitume. A vingt ans, la vie devant soi, c’est un dû.
A trente, d’un coup, on te demande de te mettre sur le bas côté. C’est quoi le problème, Monsieur l’agent en blouse blanche ? Pardon ? Les papiers de mon véhicule, mon pedigree ? On peut savoir ce qui…
Pardon ?
J’ai fait un excès ?
Pardon… ?
J’ai un excès.
A trente ans, la route devant soi s’est considérablement rétrécie. En largeur. Et en longueur, l’horizon paraît désespérément trop près.
A bientôt quarante, mes pas se sont faits plus fragiles, emprunts de doutes, de craintes, de peurs intestines. Et étendue, jadis si vaste, est simplement devenue une mince corde sur laquelle chaque avancée est périlleuse. L’excès de vie, comme bon nombre de maladies, fait prendre une hauteur nouvelle. Et me voilà, alors, investie funambule malgré moi.
Donc, oui, c’est toujours un peu dingue ce qu’on peut voir de là-haut. Oui, c’est effrayant. Oui, c’est sans filet. Mais depuis dix ans maintenant que je marche, là, sur cette corde tendue, un excès de vie dans le ventre qui voudrait me faire perdre l’équilibre, je dois avouer que je m’en sors pas si mal. Et là, aujourd’hui, je sais qu’il me faut relever la tête et regarder devant moi, plus confiante en mes pas que jamais.
Et parce que j’ai confiance, on parie que la route va s’élargir de nouveau ? On parie que je ferme les yeux et que je vois refleurir les bas côtés, comme avant ?
On parie.
Sans le savoir on avance tous sur cette route …. de plus en plus étroite et qui nous nargue à chaque palier. Nous voulons ignorer qu’à tout moment elle peut s’interrompre brutalement. Elle devient de plus en plus étroite mais nous essayons de l’oublier en continuant d’avancer, espérant profiter de cette route encore et encore,
Quand nous apprenons que cette route est interrompue pour travaux, l’épée de Damoclès pointe son nez …. alors la vie, l’espoir, le courage, la lutte, mais aussi le désespoir, les doutes, l’abandon, la peur nous accompagnent sur cette foutue route …
Cette femme debout nous donne une telle leçon de vie ! La route peut s’élargir …. ne baissons pas les bras mais gardons l’espoir au fond du cœur …
Merci Lilian.