J’ai une pensée, aidée de Ti punch, disons-le. Je ne vais pas aimer quand cela va s’arrêter. Je suis une personne extrêmement privilégiée. Qui ai-je en face de moi ? Des meurtriers, des escrocs, des récidivistes… ? Que sais-je d’eux sinon qu’ils me paraissent tellement gentils, simples, drôles. En un mot, humains.
Je presse les citrons verts sur le sucre de canne. Trois cuillères de sucre roux pour un demi citron et ensuite, le rhum, ambré de préférence pour moi. C’est devenu le seul moment où je m’octroie le plaisir de l’alcool, tout seul. Le vendredi, à mon retour du centre de détention, comme pour mieux m’endormir, mieux faire passer les choses, la chose.
Comme tous les vendredis, je suis rentré et sorti de prison. Déboussolé. Rassuré. Notre travail ensemble est de très haute qualité. Ils sont tous très bons ces six individus. Les textes sont drôles, touchants, fins. C’est un ravissement pour les oreilles. Et un questionnement de tout instant. Comment ces types enfermés depuis des années ont une vision si juste de ce qui se passe « dehors ». A croire qu’ils se sont fait enfermer parce que ce « dehors » n’était pas supportable.
Des confessions se font, pas sur les actes, mais sur les durées. Et moi qui aime tous les êtres humains, je voudrais connaître leurs histoires à chacun, mais il ne le faut pas, me dit-on. Pourquoi, au fond ? Je ne vais pas leur mettre une double peine non plus. Ils sont là, il paient, quoiqu’ils aient fait. Ils sont là, condamnés. Les écoutant, j’aimerais écrire l’histoire de chacun d’eux. Sur les six, quatre sont plus jeunes que moi, voyez-vous.
On ne m’aura jamais mis de ceinture de sécurité pour les intervenants extérieurs. Je me sens plus en sécurité, là, avec ces mecs-là, que dans un métro avec quelques jeunes aux mèches trop longues qui se bourrent la gueule avant de commencer à boire. Ces détenus me passionnent, et je mets au défi les gens qui viennent ici, de ne pas avoir d’empathie pour eux. C’est casse-gueule je sais, c’est périlleux, je sais. Mais derrière les condamnations, les agissements répréhensibles, les gestes sûrement horribles, je vois plus d’humanité chez eux que chez bon nombre de mes concitoyens qui eux, sont en libertés.
J’ai accès à des hommes. Et j’aime ça, les hommes.
Je pensais qu’il y aurait un avant et un après Lombez. Ce n’est pas faux. Il y a aussi un avant et après Muret.
Si tu les aime bien, m’est avis qu’il ne faut pas chercher à savoir ce qu’ils ont fait. Tu aurais sinon peut-être un sacré dilemme, continuer de les apprécier et culpabiliser, ou leur enlever d’un coup une grande partie de ta sympathie.
Mais au fond je suis comme toi, trop curieux pour en rester là.
C’est dangereux, voilà tout.