Muret

Il y aurait tant à dire de ce premier rendez-vous au centre de détention de Muret… Je n’en retiens qu’une émotion, celle, en voyant la porte se refermer derrière moi, à la sortie de l’atelier, que je suis dehors. Dehors et sans voix. Pour rire nous dirons, je me suis filmé avant et après. J’ai pris cinq ans entre les deux. Et pourtant, Dieu sait que je n’ai pas envie de faire de l’humour. J’écris, je crois, ce billet, sous le coup encore de cette émotion.

Face à moi, huit détenus, tout âge confondus. Certains sont là depuis longtemps et vont y rester encore, d’autres sont plus jeunes, mais, au minimum, ils ont pris vingt ans. Ils ont des pseudos, je ne dois pas savoir qui sont ils. Encore moins ce qu’ils ont fait. Avoir l’accès à l’humain. Ma tête réfléchie trop vite, je sue, mais je ne dois rien montrer. L’animateur a dit de ne rien leur livrer. Je sens qu’on me jauge, qu’on me toise. Un mot ou deux part sur ma mère, sur mon nom, sur ce que je suis, sur qui je suis. Pour la première fois, j’ai senti mon sens de l’humour me demander une énergie folle pour ne pas sombrer. Les mecs en face ne plieront pas. Je passe dans le tambour d’une machine à laver. Il y en a un qui m’envoie au visage un texte d’une violence sans nom. « C’est mon bide qui parle » dit-il.

Je sens que je patine dans ma démonstration d’écriture de monologue. Les types en face de moi ne sont pas venus voir un professeur faire une démonstration de son talent. C’est eux le sujet, pas ma définition du paradigme ou ma construction de personnage. A un moment, je me dis que je ne vais pas tenir. En face, un grand écossais parlant cinq langues me remue dans tous les sens, me contredit, me lance mille mots que je ne connais pas, me ruine d’un débat sur les mots qui n’est pas le mien. Je me recentre. Je ne sais pas ce que je vais chercher à l’intérieur, mais je tiens. Deux heures et demi, ce sera long.

Celui qui s’occupe de la bibliothèque passe son temps à dire aux autres de ne pas se balancer sur les chaises. Il m’ouvre une porte. Je dis « Moi, je vous jure, j’ai pas balancé et il vaut mieux en prison, hein ? » Tous se marrent. Un truc se décoince. Ma chemise respire un peu. Il faudra tenir tout le temps de ce premier atelier sans céder et réussir jusqu’au bout, jusqu’à cette poignet de main qui tient, qui dure, avec chacun, avec les plus belliqueux, le regard dans les yeux, la jauge permanente, cette main qu’un autre me serre, dont je sais que lui, ses mains ont sûrement commis le pire. Mais je tiens, le regard et la poignée. Je ne la lâcherai pas avant que lui ne la lâche.

Repartant dans ces couloirs interminables, croisant des regards vides en compagnie de mon animateur, je repense à un d’eux qui m’a dit « moi, j’ai pas le temps d’écrire’. Je lui dis « pas le temps dans une prison, c’est drôle, hein ? ».

Marc, le responsable me dit en se marrant de son accent Toulousain « je suis con, j’ai oublié de vous donner la ceinture de sécurité avec l’alarme dessus, vous m’y faites penser la prochaine fois, hein ? » De battre mon coeur s’est arrêté.

Je ressors donc.

Quinze minutes dans la voiture. Sans voix. Vidé. Essoré. Je suis allé au bout de mes forces et ce bout, je ne l’ai pas trouvé convaincant. Je m’en veux.

Je suis juste là, ce soir, à écrire, pour moi, pour celles et ceux qui lisent. Mon écran est ma fenêtre sans barreaux, vous me recevez. Eux, comme on dit, écrivent à l’ombre.

 

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

2 commentaires

  1. Ton émotion se voit sur la vidéo, Lilian presque sans les mots pour le dire. Ne t’en veux de rien, tu es allé au devant, tu as donné de toi et c’est déjà énorme!!!!

  2. Cela me rappelle une expérience professionnelle d’il y a une dizaine d’années où j’ai passé une semaine en prison….j’avais aimé le côté « extrême » « glauque » « à risque avec la ceinture que tu portes sur toi en permanence…..je ne suis pas sure qu’aujourd’hui, j’éprouverai la même chose….Un de mes projets était d’animer un jour un atelier Théâtre en prison…..
    J’aime souvent ces milieux « durs » mais j’en ai moins besoin depuis que je suis plus engagée théâtralement. Je crois qu’ils me permettaient comme au Théâtre d’aller chercher au fond de mes tripes, le courage, la confiance, la révolte, la vérité…tout ce qui fait monter l’adrénaline et qui te rend « vivant » pour de vrai

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