» – Je comprends pas comment tu fais pour pas dormir.
– Résiste pas.
– Si. Je veux pas m’endormir sans toi.
– C’est toi qui verse dans le sentimentalisme.
– Tu déteins.
– C’est moche.
– Je te le fais pas dire.
– Ça va creuser tes joues, tes cernes, ça va devenir des canyons. Déjà que bon, c’est pas génial, fais un effort.
– T’as qu’à me raconter une histoire. C’est ton métier, après tout.
– Justement. A trois heures du matin, j’aimerais un peu m’oublier. Je ne me laisse suffisamment jamais assez en paix comme ça. Trop de mots dans la tête, dans conversations et tous les petits mecs, toutes les petites nanas que j’ai crées qui parlent là-dedans, qui me disent, qui se disent tout un tas de trucs et une nouvelle idée ici qui se note et une autre dans un coin… Ma tronche, dedans, c’est un énorme tableau d’école avec de la craie partout, partout. Partout. Et il faut traduire tout ça. Des phrases, des titres, des sentiments, des flèches. Je suis un brouillon, t’as pas idée combien je suis un brouillon. Et ça finit dans la poubelle un brouillon. Alors, non, je te raconte rien, j’ai pas envie d’en rajouter là-haut, là-dedans. Pas une ligne de plus.
– Pas une ligne de plus. On dirait un camé.
– C’est ça. C’est exactement ça.
*
Et les jours qui s’allongent
Qui se dénudent devant moi
Et mes bras, trop courts
Pour remplir la distance
*
Ça pèse combien un deuil ? La peine, c’est en litres, c’est en coup de couteaux dans le bide qu’on la mesure ?
Là, je regarde ce coucher de soleil, y cherchant un adieu, un geste de la main, tu vois, comme un mouchoir agité par une vieille main depuis un wagon. Le type à la casquette a sifflé, la locomotive s’est mise en branle et puis ça part. Et toi, sur le quai, tu cherches un cailloux pour taper dedans, pour t’oublier, oublier tout ça. Oublier ton envie de courir après le train que tu voudrais arrêter et que tu ne peux même pas ralentir. Mais y’a rien à envoyer au loin, surtout pas les souvenirs.
Ça pèse combien un deuil ? C’est long comme un couloir de la mort ou ça emprunte tout ce qu’il y a de plus sinueux dedans ?
Moi, je ferme. Je verrouille, me déshumanise un peu plus à chaque départ. Un jour, enfin, je ne sentirai plus rien. Pas par défi, mais par survie. Un jour, enfin, devant la mort, je serai plus froid qu’elle.
*
Derrière
Il y a toujours quelqu’un qui traîne
Qui te fait de l’ombre
Surtout quand tu regardes le soleil
*
– Qu’est-ce que tu fais debout ?
– Pisser, je peux ? Et toi ? T’écris ?
– Tu m’as parlé, tu m’as dis « raconte un truc », alors, c’est comme si t’avais appuyé sur un bouton et ça sort et il faut que je le fasse sinon…
– Sinon quoi ? Tu fais de l’herpès ?
– Ce qui est dehors n’est plus dedans.
– Ah ouais… ça c’est une putain de révélation. Tu permets que je la note ? Que je te propose au prix Nobel de littérature pour ça ?
– Un cancer à l’extérieur, c’est pas très dangereux, c’est comme la gangrène, sur le papier, c’est inoffensif.
– Ben tiens, tu m’éclaires, là.
– J’écris pour rien garder dedans, t’es conne ou quoi ? Moi, les mots qui me hantent, ils cherchent des fissures où se glisser et pourrir.
– Dis donc, ça fout les jetons. Dangereux ton métier.
– Tu peux pas fermer la porte aux toilettes ?
– Je suis pas ta nénette. J’ai rien de mystérieux à garder.
– A l’égard de ta race, si.
– Ma race ?
– Femme.
– Ah oui. Tu dis pas grand chose, mais ça suffit à comprendre pourquoi elle s’est tirée la fille du frigo. «