L’homme Tordu – 7

 » Il faut bien que cela commence quelque part.
N’importe où.

Ecris, dit elle.
J’obéis. Ça se passe ici, dans ce qui suit.

– Qu’est-ce qu’on a fait cette nuit ?
– C’était bien.
– Vraiment ?
– Vraiment. T’as pas aimé ?
– Je sais pas. J’ai l’impression d’avoir attendu que le jour se lève avec délivrance.
– T’es un vrai poème au réveil, toi.
– Je te retiens pas. La porte par laquelle t’es entrée, elle marche aussi dans l’autre sens.
– Ah oui ? Je suis pas rentrée par effraction, t’as conscience de ça quand même ?
– Ouais, mais à quoi bon ?
– Tu regrettes.
– Non. Mais ça n’a rien à voir avec toi. Avec la tête que tu as, t’as dû prendre ça pour un cadeau de Noël. Avant l’heure, j’entends.
– Poète et classieux avec ça.
– Ecoute, on va pas se la faire à l’envers. On n’est pas des gosses qui jouent à touche pipi. T’es pas terrible et je suis loin d’être un canon de beauté, même si j’ai les traits plus réguliers que les tiens.
– Dis donc, comique, dans le bar, t’étais pas le seul avec lequel j’aurais pu repartir. Vous étiez trois sur le laideron.
– C’est bien ce que je dis, t’es parti avec le moins pire. Physiquement parlant.
– T’es un putain de loup-garou, c’est ça ? Le mec qui parle bien, le démon séduisant, le type qui fait rire la nuit, mais quand il y a le soleil, tu laisses ta place à un gros con, c’est ça ?
– C’est ça. Tu devrais faire inspecteur dans la police, tu choperais tous les vilains. Tu veux un café ? Du lait, j’ai du chocolat en poudre si tu veux.
– Ma gueule te revient pas ?
– Me demande pas une note sur vingt, tu vas mal le prendre.
– Et mon cul, il fait pas remonter la note globale ?
– Ton cul, tu peux lui faire prendre la place de ta tête, ça changera rien.
– Je vois pas pourquoi je reste là à t’écouter.
– Ben, si t’attends les croissants, je pense que tu vas vieillir ici.
– C’est avec ce genre de répliques que tu lui parles à elle ?
– Qui ?
– La photo. La nénette sur ton frigo. Enfin, ta copine, quoi.
– Elle mérite pas ça elle.
– « Ça », on est bien d’accord, tu parles de toi ?
– … Parfait, tu viens de dire la première chose intelligente de la journée.
– C’est un test, c’est ça ? J’ai droit de revenir en deuxième semaine ?
– Je crois pas. T’es trop moche.
– Okay, j’ai été trop présomptueuse, juste un deuxième soir.
– En plus de laide t’es maso ?
– Je fais dans la sociologie du con et quand on a un beau spécimen, on a envie de l’étudier sous toutes les coutures.
– Je mérite pas tant d’attention.
– Tu mérites que dalle, ouais, je confirme, c’est bien pour ça qu’une fille plutôt laide…
– Laide tout court.
– … Laide tout court donc, peut s’intéresser davantage à toi. Laide, ça va, c’est pas trop chiant. D’ailleurs, faudrait pas, hein ? « Attends, t’es laide et ton cul subit la gravité de plein fouet, tu vas pas commencer à faire ta chieuse » ! C’est le truc, c’est ça ? La belle, elle, ont lui donne plus de truc, même quand elle te crame avec sa clope, cette conne, on lui pardonne. Faut bien que la laide ait un avantage. Alors ?
– … Si on n’est pas obligé de parler, t’as qu’à repasser demain. Mais tu longes les murs, t’attends que la nuit soit tombée, parce que si tu vois la photo, tu captes que j’ai une réputation à tenir, moi.
– Si moi je suis laide, elle, tu la trouves comment ?
– A gerber.
– Quand est-ce que t’es premier degré ?
– En pleurant devant une glace.
– C’est vilain un miroir, hein, quand on n’est pas bien dans sa peau.
– Dans ton étude de la connerie, commence par toi. Je pleure devant une glace à bouffer, pas un miroir. Ma mère vendait des glaces italiennes près d’une plage quand un putain d’orage à taper sa camionnette. Elle est morte comme ça, cramée. Alors, comme je suis pas complètement insensible, je pleure en bouffant une glace. C’est bon, docteur, ça t’éclaire un peu, là ? Bon, tu te casses maintenant ? J’ai des tas de trucs à faire.
– Et le café ?
– Trop tard, t’as trop parlé, t’as passé ton tour.
– Demain soir alors ?
– Ouais, si tu passes pas trop près d’une forêt, fais gaffe, la chasse est toujours ouverte, y’aurait toujours un malade un peu bourré pour te prendre pour un sanglier.
– Promis, je m’épilerai.
– Y’a un Jardiland, au bout de la rue, prends un sécateur.
– J’y vais. Tu sais, toi, t’es pas laid. T’es beau. Vachement même.
– Elle est vache ta litote, là.
– C’en était pas une. J’ai arrêté de jouer. »

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

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