Viviane –
Inopérable. C’est ce que le médecin a dit. Je ne suis même pas sûre de l’avoir entendu dire « bonjour ». Non, il est arrivé devant moi, comme ça, fraîchement sorti de ses études, un pansement près de l’oreille dû à un rasage sûrement pas bien réveillé avec un air désolé très scolaire. Si, si, j’insiste, très scolaire. Parce que les médecins, on leur donne des cours de psychologie du style « quand vôtre patient a une tumeur maligne genre on l’a repérée trop tard, prenez un air très emmerdé comme s’il s’agissait de quelqu’un de votre propre famille, ajoutez-y un zeste de pincement de lèvres, de silences tout en compassion et d’une petite tape dans le dos et ainsi, vous pourrez faire carrière dans les soins palliatifs… » Je ne sais toujours pas ce qui m’a retenu de le gifler. Le fait que je triturais mon chapelet peut-être, dans un dernier sursaut d’espoir. « Inopérable ». Je crois que je me suis ruiné une couronne en serrant les dents. Le médecin a joué son rôle emmerdé avec application et mon mari s’est occupé de la petite tape dans le dos. Et j’ai pensé… j’ai pensé tellement fort que j’ai hurlé « putain, on va sur la lune, on clone des putains de moutons, on fait voler des avions, on greffe des gueules, on court le cent mètres en moins de dix secondes et on est pas foutu d’opérer un putain de cancer des poumons sous prétexte qu’il est trop près du cœur ? » Et là, une main sur la mienne. Mon père, digne, malgré le tuyau qui lui sort de la gorge et ses respirations désormais à rebours qui me dit « chut » … Je suis sortie de la chambre, j’ai voulu pleurer et le chapelet s’est cassé. Des perles ont roulé un peu partout. Je suis restée immobile. Notre Père… je crois qu’on a été coupé…