Aimer, si t’as le mode d’emploi, je te l’emprunte

« – Et là, je me suis retrouvé dans une situation gaguesque lorsque le patron…

– Ta gueule.

– Hein ?

– Je t’aime.

– Euh, qu’est-ce que… quoi, comment ?

– Je t’aime.

– Oui, j’avais bien entendu la première insulte.

– Ta gueule ?

– Non, « je t’aime », balancé comme ça, c’est même une agression. Tu m’aurais dit que ma mère suçait des bites en enfer, j’aurais trinqué à sa santé, mais là…

– Je t’aime quand même.

– Mais quoi ? Où ça ?

– Ben, partout sur terre.

– Oui, quand même. Ca fait beaucoup. Ca aurait pu rester dans ton lit, non ?

– Ben, ça a commencé dans mes rêves, mais ils sont devenus trop petits. Et un amour comme ça, à l’étroit, ça étouffe. C’est pour ça que je te le dis. Que ça sort, comme ça.

– Ah ben, oui, mais fallait avorter plus tôt. Parce qu’il est mort-né cet amour là.

– Je sais, je l’ai intubé tout ça, je l’avais prévenu. Mais bon, il en à fait qu’à sa tête. Qu’à son coeur plutôt. Enfin, son coeur, c’est le mien, ce con.

– Fallait pas lui laisser.

– Tu crois que je m’attendais à ça ? De la part d’un amour si fidèle jusqu’ici, qui ne s’accordait aucune chose impossible, non, que des cibles extrèmement faciles d’atteintes, des petites flammes de vacances, rien qui pique, rien d’insaisissable. Et là, avec toi, je sais pas quelle lubie l’a pris. Il me dit « t’en fais pas, je prends ton coeur, je te le rends, un truc à faire avec ». Tu crois que je l’ai revu ? Ben nan. Il me l’a chouravé. J’ai même cru que t’étais de mèche avec lui.

– Non, j’ai arrêté de choper les coeurs des filles, moi. Je sais plus où les mettre, mes placards sont pleins à craquer, j’en retrouve quand je fais les moutons sous le living room, y’en a des cassés derrière les meubles de salle de bains qui étaient tombés je sais plus quand. Ah nan, c’est fini ces conneries. Moi, là-dessus, Madame la juge, je plaide non coupable.

– Je suis d’accord, mais en même temps, ton casier, il est pas vierge. Là, tu vas prendre perpet’.

– Avec toi ?

– J’aurais bien aimé, mais bon. On met jamais les voleurs chez les gens qu’ils ont dérobé.

– Bon. Ben, on n’est pas dans la merde.

– Oh, toi, ça va, c’est pas ton coeur qui va te manquer. Ce qui est bien maintenant, c’est que je suis vide. J’arrivais plus à bouger à l’intérieur. Là, pour le coup. C’est déboisé. Je savais pas que c’était si grand chez moi.

– Ben, quand on voit la taille de ton « je t’aime », on se doute que c’est pas un studio de 12m². La table où tu l’as déposée vient de flancher sous son poids.

– Oui, j’ai le coeur lourd. Et il est à tes pieds.

– Je le ramasse pas, tu comprends, pour pas qu’il y ait d’ambiguité. En plus, ce genre de truc, l’amour, tout ça, ça se refile assez facilement.

– Non, non, pas de problème, je comprends. Je vais juste aller chercher un tractopelle pour le reprendre.

– Ah ?

– Quoi ?

– Il bouge encore.

– On dirait oui.

– Le problème, c’est qu’il a une valve de pétée on dirait. Ah oui, elle est bien pétée, même. Craquée.

– Ben, laisse-moi, faut l’achever, je voudrais pas que t’assistes à ça. C’est jamais génial comme spectacle. Merci pour tout. Enfin, pour le rien que tu m’as donné en retour. Au fond, bien au fond, ça doit me faire du bien.

– Je t’en prie, si je peux rendre service. Tu as besoin d’aide.

– Nan, t’en fais pas, j’ai lu mon « faire une déclaration d’amour à sens unique pour les nulles », je suis au point là. « 

Auteur : Lilian Lloyd

Auteur, metteur en scène, scénariste, comédien, compositeur pas encore mort (1973-2000 et des poussières)

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